Je veux revenir ici sur les dynamiques d’IC identifiées dans mon texte de 2018… et en ajouter trois autres…
Actuellement, je vois d’autres dynamiques d’IC qu’il me semble intéressant de mettre en exergue. Elles sont en lien avec des dynamiques déjà identifiées, mais elles ouvrent sur d’autres aspects qui nécessitent d’être distingués à mon avis.
a) Dynamique d’appréhension de la complexité présente au sein du groupe, tant en ce qui concerne les processus collectifs que les contenus des échanges
Dans mon texte de 2018, j’ai évoqué la complexité notamment pour parler des interactions entre les différentes dynamiques et pour souligner que les dynamiques identifiées peuvent être développées à des degrés divers et qu’elles ne sont pas permanentes. Je n’ai cependant pas abordé l’aspect de la complexité directement au niveau de ce qui se vit dans le groupe en train de développer l’IC et de vivre l’émergence d’inédit.
Comment la complexité des différents aspects de ce qui est mobilisé dans les échanges (à de multiples niveaux) est-elle appréhendée, acceptée, explorée, dans le groupe ? Comment les échanges permettent-ils d’élargir les perceptions individuelles et partagées collectivement, dans une perspective systémique, dialectique pour reprendre les termes de Edgar Morin ? Comment le groupe accueille-t-il l’imprévu, l’incertain, les surprises durant les échanges et dans l’émergence d’inédit ?
Cette dynamique m’apparaît être en lien avec des capacités individuelles et collectives qu’il semble important de développer pour favoriser l’IC. Ces capacités renvoient à une posture de questionnement qui donne de la place à ce qui n’est pas pré structuré, mais en devenir, en transformation. Elles relèvent par ailleurs notamment d’une activité de mise en lien, de tissage (selon des termes utilisés par Edgar Morin et Jean-Louis Lemoigne) entre tout ce qui apparaît au niveau de la conscience.
« La complexité est une question et non une réponse, un défi à la pensée et non une recette de pensée. Étymologiquement, “complexe” signifie “ce qui est tissé ensemble”. La pensée complexe repose sur le principe qu’il existe des implications mutuelles entre tous les objets arbitrairement isolés. »
Jean-Louis Le Moigne
Cette dynamique d’appréhension de la complexité est stimulée entre autres par la reliance et les interconnexions élaborées entre les individus dans le groupe qui aident à rebondir, associer de manière fluide les réflexions développées et faire émerger de nouveaux points de vue plus ou moins inattendus (par la mise en lien, la recherche de similitudes, de différences, de croisements, de recoupements, de récurrences, de paradoxes dans les réflexions partagées).
Elle est également favorisée par trois autres dynamiques : la conscience collective développée (cf. pensée et partage « méta »), la co-construction d’un sens collectif de ce qui est fait ensemble (cf. ainsi que la co-élaboration de focus de travail (par exemple, d’analyse en lien avec la pratique en APP).
Cette dynamique d’appréhension de la complexité ne se réduit cependant pas à mon sens à ces autres dynamiques. Elle gagnerait à être considérée aussi comme une dynamique d’IC en elle-même… ne serait-ce que parce que les interventions de facilitation à ce niveau sont souvent utiles, voire nécessaires, pour favoriser de développement de l’IC. Si l’appréhension de la complexité requiert le développement d’une pensée non réductrice chez les individus, elle est par ailleurs soutenue par un travail collectif qui aide à faire vivre une pensée ouverte, en mouvement, accueillant les ambiguïtés, incertitudes, etc. Ce travail valorise la suspension du jugement, l’identification et la reconnaissance des différents niveaux, perspectives, angles de vue, la mise en évidence des interactions multiples et… le fait que d’autres lectures possibles peuvent toujours émerger… qui pourront dans un temps à venir (sans que cela ne soit forcé ou précipité) éventuellement être mises en lien, faire sens… Cette dynamique collective est aussi nourrie par de l’entraide dans le groupe pour appréhender la complexité, le temps accordé à faire coexister tous ces lectures possibles, des clarifications / explicitations utiles pour rester en communication, en connexion, etc. Au fur et à mesure que le groupe expérimente ensemble cette dynamique d’appréhension de la complexité, il développe une capacité collective à la mobiliser et une confiance dans cette capacité.
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b) Dynamique d’inclusion
Cette deuxième dynamique me paraît également intéressante à considérer…
Elle est proche de celle que j’avais nommée « reliance et interconnexion » (en particulier en ce qui concerne les aspects d’accueil des différences et décalages présents dans le groupe) et à la dynamique des autorégulations, compétences et conscience collectives (la conscience du « nous » qui permet d’inclure tout le monde). Cependant, elle implique des aspects complémentaires.
Cette dynamique renvoie à la notion de constitution du groupe, à ce qui permet à chaque individu de se sentir faire partie du groupe, et aux processus mobilisés pour que tous les individus puissent être et se sentir inclus dans le groupe et le travail collectif, d’où qu’ils viennent, quoi qu’ils vivent, quelque soit le registre préférentiel dans lequel ils s’expriment…
SI je me réfère à notre premier “échange à quatre” vécu le 7 septembre, nous avons vécu quelque chose qui relève de cette dynamique, à mesure que nous explorions ce qui pouvait permettre à chacun et chacune de contribuer à faire circuler dans le groupe une parole, une énergie susceptibles de faire vivre/vibrer la réalité du collectif. Il s’agit d’une exploration dans la mesure où les ponts, les liens, entre différentes personnalités, intérêts, valeurs, registres de vécus et de communication, préférences, etc. ne sont pas donnés d’emblée, quel que soit la bienveillance et la confiance qui puissent être présentes. Le développement de cette circulation, de ces ponts, de ces liens à l’échelle du collectifs est de l’ordre d’une dynamique d’inclusion en ce sens qu’il permet d’élargir ce que le groupe va pouvoir vivre et faire émerger ensemble, ouvrant comme un champ de potentialités plus vastes… qui requiert simultanément une ouverture de chaque individu et une capacité d’empathie et de communication authentique.
Cette dynamique implique de la reliance (= une des formes d’IC identifiée), mais dans une perspective de constitution du groupe, de développement de l’appartenance et de la perception que l’on peut être ensemble un groupe. En ce sens, elle est proche aussi de la dynamique de conscience du “nous” mentionnée en début de texte. Elle renvoie cependant davantage à un aspect affectif plutôt qu’à une perception de ce qui se passe au niveau de l’ensemble du collectif et à une conscience de son fonctionnement. Elle concerne aussi davantage le travail que le groupe peut avoir à élaborer par rapport à des différences qui peuvent faire obstacle, et qui demandent plus ou moins de dépasser certaines peurs par rapport à “l’étranger” et de s’ouvrir à la rencontre de “mondes”, de registres de vécus et de communication avec lesquels on peut se sentir démuni, peu à l’aise, inconfortable.
Les processus d’inclusion sont nourris par des partages sur le plan émotionnel et par de la reconnaissance mutuelle (au sens fort de se connaître et reconnaître dans l’être propre de chacun-e. Cela implique de s’accorder du temps pour que ces processus puissent se déployer et que chaque individu et le groupe dans son ensemble puissent percevoir et reconnaître la place de chaque individu dans le travail collectif et dans la complémentarité qui est constitutive aussi du collectif. Cela se fait souvent progressivement, par les affinités développées de personne à personne, jusqu’à ce que tous les individus soient inclus. La circulation de la parole (à la fois libre et qui donne de la place à tout le monde) et les résonances vécues peuvent aider de manière importante (voir la dynamique de reliance et d’interconnexion).
Faciliter ces processus d’inclusion est susceptible :
- au niveau individuel, de stimuler la capacité d’implication, d’ouverture, de présence et de communication authentique des individus
- au niveau collectif, de développer un “contenant” groupal qui élargit la capacité collective à mobiliser les autres dynamiques d’IC et ouvre de nouvelles possibilités d’émergence dans le collectif.
En ce sens, il me semble intéressant de la distinguer des autres dynamiques mentionnées… étant entendu que leurs interactions sont fortes.
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c) Structuration souple, évolutive, à la fois contenante et donnant de la liberté
Cette dynamique concerne l’organisation et les méthodes de travail mobilisées dans le collectif. Elle présente un caractère assez paradoxal dans la mesure où l’IC apparaît favorisée par une structure, un cadre, un déroulement qui est contenant, donne à la fois sécurité et clarté pour l’activité collective, mais qui est également flexible, organique, vivante, donne de la liberté pour la co créativité et l’émergence de l’inédit. Dans la mesure où la structure donne des repères, sans tracer un chemin définitif à l’avance et qu’elle évolue dans le temps, elle gagne à être considérée dans une perspective dynamique. Le collectif ajuste en permanence les modalités travail dans une alternance de convergences et de divergences, de précision et d’indécision, d’ordre et de désordre etc. (pour reprendre l’optique dialectique)
Cette dynamique est en lien avec la dynamique de régulation, qui concerne, elle, l’ensemble des dimensions de l’activité du collectif.
Pour ce qui est de la structuration du travail, le collectif apprend peu à peu à être à l’aise et à « jouer » avec différentes manières de procéder, différentes étapes et méthodes.
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A suivre… Il s’agit d’une ébauche de réflexion… tout cela est à approfondir…
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Référence citée
Thiébaud, M. (2018). Intelligence collective et analyse de pratiques en groupe : six dynamiques mobilisées. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 13, pp. 18-38. https://www.analysedepratique.org/?p=3048.