Plusieurs animations récentes de groupe d’APP m’ont amené à faire quelques réflexions à propos des dynamiques d’intelligence collective en APP.
Je les apporte comme des questions à explorer.
1.
Tout d’abord, il m’apparaît que l’intelligence collective au sein d’un groupe d’APP correspond plus particulièrement à une (ou on pourrait dire deux) formes spécifiques de l’intelligence collective : émergence de nouvelles perspectives
a) au niveau individuel (l’individu tire bénéfice de l’IC pour faire émerger pour lui de l’inédit, mais qui ne sera pas nécessairement partagé)
et
b) au niveau collectif (l’inédit correspond à l’émergence pour le collectif de nouvelles perspectives partagées et construites collectivement)
Celles-ci sont très en lien avec un aspect de co-créativité.
On peut considérer que dans d’autres espaces collectifs, d’autres formes d’IC pourraient être plus présentes en lien avec d’autres types de production (résolution de problème complexe, décision consensuelle, conscience collective, etc.).
Si je me réfère à des définitions de l’intelligence en général, on retrouve aussi une variété de formes :
https://www.boutique.afnor.org/extraits/FA092255.pdf
“Trois critères sont plébiscités par plus de 95 % des experts. Il s’agit de notre capacité à raisonner sur des sujets abstraits, notre aptitude à résoudre les problèmes complexes et la facilité avec laquelle nous sommes capables d’acquérir un savoir, c’est-à-dire notre capacité à apprendre.”
Wikipédia :
“L’intelligence est l’ensemble des processus retrouvés dans des systèmes, plus ou moins complexes, vivants ou non, qui permettent de comprendre, d’apprendre ou de s’adapter à des situations nouvelles. La définition de l’intelligence ainsi que la question d’une faculté d’intelligence générale ont fait l’objet de nombreuses discussions philosophiques et scientifiques. L’intelligence a été décrite comme une faculté d’adaptation (apprentissage pour s’adapter à l’environnement) ou au contraire, faculté de modifier l’environnement pour l’adapter à ses propres besoins.
Le terme intelligence de la langue française est emprunté au latin intellĕgentĭa, lui-même dérivé du latin intellĕgō (« discerner, démêler, comprendre, remarquer ») dont le préfixe intĕr (« entre, parmi ») et le radical lĕgō (« ramasser, recueillir, choisir ») donnent le sens étymologique « choisir entre, ramasser parmi (un ensemble) »”
Selon le Trésor de la langue française informatisé :
« [Dans des circonstances nouvelles pour lesquelles l’instinct, l’apprentissage passé ou l’habitude ne dispose d’aucune solution] Aptitude à appréhender et organiser les données de la situation, à mettre en relation les procédés à employer avec le but à atteindre, à choisir les moyens ou à découvrir les solutions originales qui permettent l’adaptation aux exigences de l’action. »
2.
Dans cette perspective de co créativité, l’émergence d’inédit est particulièrement importante.
Cela soulève la question du degré de divergence que les processus de travail collectif peuvent vivre, et notamment de la direction ou des directions dans lesquelles s’oriente ce travail collectif.
Dans l’animation d’APP au sein d’une équipe d’accompagnants effectuée hier, cela m’a paru comme particulièrement frappant, dans la mesure où le groupe a fait émerger non seulement :
- de nouvelles réflexions en lien avec l’objet travaillé, clairement reconnues comme le résultat des multiples éclairages, rebonds et interconnexions produits dans le travail collectif
- mais encore plusieurs réorientations de l’objet travaillé lui-même vers d’autres objets
Je m’explique :
– la situation apportée par une participante a été le point de départ, qui a conduit à développer des hypothèses de compréhension (avec passablement de différences/complémentarités d’analyses entre les participants)
– puis cela a suscité des interrogations sur les implications que cela a pour les pratiques développées par l’équipe en lien avec une prestation de leur institution qui est censée suivre une certaine ligne (avec la question en filigrane: est-elle encore respectée ou non ?)
– progressivement, cela a interrogé aussi les différences de pratiques entre collaborateurs de l’équipe (comment vivre et assumer une unité versus une diversité des pratiques… avec en toile de fond des questions de cohérence, d’image par rapport à l’extérieur, etc.)
Au fur et à mesure, le travail développé dans l’équipe pouvait ainsi l’engager sur d’autres chemins, avec potentiellement un glissement vers autre chose que de l’analyse de pratiques à proprement parler (identification d’enjeux, de dilemmes pour l’équipe, résolution, décision,…)
Une des questions que je me pose, suite à cette expérience, concerne la question du focus sur lequel on travaille et du sens dans lequel on s’engage… les processus d’émergence amènent beaucoup de divergences… mais cela peut conduire sur des chemins différents pour chacun… l’énergie se disperse, perte de synergies, d’interconnexions, de possibilités de travailler en IC.
Durant l’APP d’hier, j’ai abordé ce défi dès les premiers instants, lorsque l’exposante a exprimé en une ou deux phrases sa demande… nous avons dès le départ identifié plusieurs voies de travail possibles afin d’en avoir conscience.
Dans le cours de l’APP, nous y sommes revenus… et chaque fois qu’apparaissait une bifurcation, cela nous a permis d’expliciter et de choisir le chemin sur lequel l’équipe voulait continuer en priorité.
Cependant, des ponts se dessinaient de plus en plus entre ces différents chemins… correspondant d’une certaine manière à des niveaux d’appréhension de la complexité vécue par les participants et l’équipe en lien avec la situation de départ apportée
Cela me renvoie à la question d’un équilibre à trouver entre divergences et convergences… pour rester ensemble, dans la durée, en IC.
Cela en lien avec la question de l’inclusion de tous les participants dans le processus.
Et aussi en lien avec la capacité de l’équipe à vivre avec cette complexité.
Équilibre à considérer comme un perpétuel mouvement… se concerter sur une orientation, un but et en même temps permettre que cela soit souple… pour que d’autres choses émergent… et que de nouvelles orientations, de nouveaux buts puissent apparaître… et éventuellement être choisis… en conscience et concertation… ou non…
3.
Dans une autre APP vécue il y a trois jours, cette même question des divergences – convergences s’est posée, mais de manière plus réduite, par rapport à la situation apportée par l’exposant et au focus d’analyse privilégié. Il s’agissait ici d’un groupe et non d’une équipe de professionnels. Il y avait énormément de niveaux qui pouvaient être travaillés… j’étais dans un rôle de formateur (méta) et l’animatrice du groupe d’APP (étudiante) se rendait compte peu à peu de toute cette complexité mais ne savait pas trop quoi faire…
Une question notamment se posait pour moi à ce moment : comment choisir entre développer une analyse sur un ou l’autre focus privilégié (avec la possibilité ensuite de passer à un autre focus) ou de laisser venir les apports, éclairages des participants de manière totalement ouverte.
Je ne suis pas intervenu et l’animatrice a donné une consigne très large pour entamer l’analyse : elle a invité les membres du groupe à partager ce qui leur apparaît dans la pratique exposée, en utilisant la forme qu’ils souhaitent, métaphores, hypothèses de compréhension, dessin au tableau, etc.
Certains ont été mal à l’aise, ne sachant pas trop comment faire… d’autres ont apprécié cette liberté. Peu à peu, la parole a circulé, avec des rebonds. Pour plusieurs personnes, cela apparaissait cependant plutôt difficile de faire des mises en lien…
Pour l’exposant, cela a fait émerger beaucoup de nouvelles compréhensions.
Une partie des participants a exprimé à la fin, au moment du bilan des vécus et apprentissages aussi de nouvelles compréhensions qui ont émergé pour eux.
Je dirais cependant que le produit de l’intelligence collective a été surtout opérant et visible pour la compréhension de l’exposant… davantage que pour les membres du groupe
Pour lui, cette manière de procéder faisait sens… pour les participants, cela gagnerait à être discuté… nous n’avons pas eu le temps malheureusement d’analyser cet aspect.
Pour moi, on est dans le mouvement, à nouveau… selon ce qui se vit dans le groupe, cela peut être intéressant de travailler davantage un ou l’autre focus ou de laisser les choses plus ouvertes…
et de favoriser plutôt un travail en accompagnement de l’exposant… ou de donner davantage de place aux apprentissages et résonances que cela peut produire chez les autres participants…
L’un n’étant pas exclusif de l’autre… mais il y a des équilibrations à trouver pour que l’IC puisse être le plus effective possible, selon les groupes et leur dynamique !
4.
En lien avec ce que je viens d’évoquer, dans la même APP, une autre question intéressante a été davantage explorée. Elle est lien également pour moi avec l’IC.
À plusieurs reprises, l’animatrice a ressenti le besoin, durant le partage des analyses, de faire préciser le propos d’un ou l’autre participant, en disant qu’elle en avait besoin pour sa compréhension.
Ce faisant, elle amenait en quelque sorte à valider sa propre compréhension de ses propos… mais cela a eu plusieurs conséquences :
– cela tendait à « enfermer » chaque apport dans une signification moins ouverte (laissant possiblement moins de place à d’autres significations/connotations)
– le fait qu’elle soit animatrice donnait encore plus de poids à cela
– certains autres participants perdaient le fil de la dynamique collective de production (comme interrompu par les interventions/demandes de clarifications et vérifications de l’animatrice)
– la circulation de la parole se faisait en étoile (passant d’un participant à l’animatrice puis revenant à ce participant… ou à un autre avant de revenir à l’animatrice, etc.… plutôt que de circuler librement entre participants, sans passer par l’animatrice)
J’ai été frappé par le fait que plusieurs participants (mais pas tous) ne se sont pas laissés perturber par cela… venant à leur tour avec un éclairage, une métaphore… qui relançait la dynamique de co créativité.
Il m’est apparu aussi que lorsque leurs apports étaient plus ouverts (dans le sens qu’ils pouvaient être compris de manières diverses, comme c’est le cas notamment avec des apports sous forme de métaphores), les émergences étaient favorisées… cela a été notamment frappant dans les rebonds que certains participants ont faits suite à une métaphore… qui leur a fait penser à des lectures inversées de la situation ainsi dans le retour de l’exposant à la fin, qui a exprimé ce que cela a fait émerger pour lui, ainsi que les résonances que cela a ouvert.
Cela me renvoie à la question suivante :
Dans une phase de co créativité dans l’analyse en APP, quelle circulation de la parole favoriser, quelle ouverture des significations/connotations stimuler, en lien avec différents besoins qui peuvent être vécus par les participants (processus plus ou moins cadré, parole plus ou moins précisée, etc., à différents moments de la séquence d’APP et de la vie du groupe)
5.
Pour chacun de ces mouvements, il me semble que l’intelligence collective est favorisée lorsque le mouvement est fluide, autrement dit, que le navigation d’un pôle à l’autre se fait de manière ajustée, sans que cela soit figé, et avec l’ensemble du groupe qui peut rester impliqué et a minima au diapason…
même si ce n’est pas rédhibitoire si des différences sont vécues par moments entre les participants… pour autant que personne ne soit perdu ou dans un inconfort tel que cela risquerait de bloquer son processus d’implication/apprentissage et sa participation à la dynamique collective.
Cela nécessite, me semble-t-il, un travail de facilitation, de mise en lien assez fin qu’il s’agirait d’explorer et documenter…
Il y aurait lieu notamment de trouver des indicateurs qui aident à favoriser des dynamiques d’IC.
Les trois aspects que je viens d’évoquer peuvent être par ailleurs mis en lien entre eux, me semble-t-il (avec notamment l’idée qu’ils peuvent plus ou moins s’amplifier/influencer l’un l’autre) :
– degré de divergences – convergences que les processus de travail collectif peuvent vivre notamment par rapport à la direction dans laquelle s’oriente ce travail collectif
– degré de divergences – convergences par rapport au focus d’analyse privilégié en lien avec la situation apportée par l’exposant… en lien avec la question des résultats que cela produit pour l’exposant et pour les différents participants
– degré de précision / ouverture des apports et éclairages en phase d’analyse… en lien avec la circulation de la parole entre les participants
À discuter…